Né en 1998 à Nantes.
Vit et travaille à Paris.
Diplômé de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Lyon.
En mai 2006 au Portugal, plusieurs lycées recensent d’inquiétants symptômes dans leurs rangs : un grand nombre d’élèves font état d’éruptions cutanées, de problèmes respiratoires et d’importants vertiges, dont aucun facteur d’ordre bactérien ou viral ne semble être la cause. Pourtant le mal se répand et touche plusieurs centaines d’adolescent·es. On finit par comprendre que cette épidémie répond à la diffusion d’un épisode de la sitcom Morangos com Açúcar, qui mettait en scène un phénomène de contagion affectant les différents protagonistes, lycéen·nes également. Cette histoire a accompagné tout un pan de la production récente de Pierre Allain. Sans que ses œuvres y fassent directement référence, l’anecdote permet de comprendre ce qu’elles mettent en jeu : les formes d’incorporation des images et des histoires qui circulent autour de nous, ou la manière dont la fiction donne corps à un mal-être structurel sous-jacent.
Ainsi, Tip of My Tongue (2022) restitue, par l’intermédiaire d’un interphone, les messages postés sur un forum par des internautes à la recherche de films dont certaines scènes les ont traumatisé·es. Tout comme dans l’histoire du virus de Morangos com Açúcar, le contenu du forum témoigne de l’empreinte psycho-physique de l’entertainment sur les contributeur·rices, et de leur désir de collectiviser – ou du moins de mettre en circulation – leur malaise. Dépliant cette logique, Pierre Allain produit à l’aide d’entreprises spécialisées des émetteurs (comme cette borne d’accès de pénitencier qui sert d’interphone à Tip of My Tongue) et des récepteurs. Recouverts d’un polymère ultra-absorbant, les sculptures qui composent la série Skins Screen (2023) ont la capacité d’enregistrer et d’incorporer les modifications climatiques de leur environnement. En référence à des sources insituables ou forcloses, les dispositifs de Pierre Allain sont souvent en retrait ou encastrés, affleurant à peine du mur, quand ils ne sont pas totalement camouflés. C’est le cas de And Everywhere: Shooting Orders and Insurgent Singing (2021),un haut-parleur qui, caché dans les arbres, diffuse le chant du bruant à gorge blanche. L’ensemble de cette espèce d’oiseau, perturbée par des mutations environnementales, a transformé sa manière de pépier.
La pratique de Pierre Allain est ainsi traversée par des questions chronopolitiques : la synchronisation du corps collectif, au diapason de certaines intimations, et le dérèglement des rythmes (de travail, de sommeil...) qui en résulte. Les matériaux ou dispositifs qui évoquent l’univers médical ou pénitentiaire font affleurer, sous les chants bucoliques et les mélodrames adolescents, les logiques de contrôle des corps et des esprits. Entre les pôles émetteur et récepteur, c’est-à-dire parmi le public, circule une certaine anxiété qui se situe toujours sur le seuil de notre intériorité[1]. Elle ne constitue pas une réponse affective à un événement mais est, à l’image du ruant, en constant déplacement, à la recherche du prochain corps ou objet sur lequel se poser.
Elsa Vettier