Née en 1991 à Landerneau.
Vit et travaille à Brest.
Diplômée de l'École nationale supérieure d'arts de Paris-Cergy.
L’histoire est connue : vers la fin du XVe siècle, l’excavation de la villa antique de Néron et la redécouverte de ses décors, jusqu’alors ensevelis, donnent naissance au style grotesque. Il se répand dans l’art et l’architecture de la Renaissance et inspire la construction de grottes artificielles qui, dans les jardins de certaines villas italiennes, tentent de recréer la rugosité humide de la pierre érodée. Cet imaginaire archéologique qui mêle ornementation, cavernes et faux-semblants est, à mon sens, assez proche de celui déployé par Elen Hallégouët dans ses œuvres.
Au fil de ses déplacements, notamment sur le territoire breton, elle repère ce que l’on qualifie de « petit patrimoine » : celui qui, en extérieur, finit par s’éroder ou se recouvrir de végétation. Ce sont par exemple les bas-reliefs païens d’anciennes paroisses, ou les lavoirs. Son attention se porte également sur les moulures d’appartement et les frises de salles de réception qui n’attirent plus vraiment l’œil. Après avoir identifié ces ornementations discrètes, Elen Hallégouët procède à la prise d’empreinte ou au moulage. Un relevé archéologique des formes, par lequel elle s’imprègne de l’histoire et de l’esprit des lieux, avant de les traduire en sculpture – en ce sens, on peut dire qu’elle les empreinte.
À la pierre qui traverse le temps, Elen Hallégouët préfère des matériaux qui exhibent leur fragilité (le verre), leur mutabilité (la terre), mais surtout leur transparence. En témoigne un ensemble d’empreintes de la statuaire bretonne et de moulures réalisées en verre, ou la série des « fenêtres », des plaques de plexiglas à la surface ridée. Leur transparence les rend attirantes et insaisissables, comme des leurres. Elles ont une dimension aquatique, comme si les vestiges dont elles sont la réplique avaient été engloutis et que nous regardions, à travers la surface de l’eau, leur image déstabilisée par un clapotis perpétuel et hypnotique.
Dans le travail d’Elen Hallégouët, le rapport à l’élément liquide est constamment rejoué. Il est ce qui permet la circulation et la transformation des formes et des histoires qu’elles charrient, de la même manière que, paradoxalement, depuis l’Antiquité, l’eau abîme et préserve, par submersion, des artefacts qui auraient sinon été détruits. À chaque fois, la dimension sociale et orale de ce patrimoine est centrale : le lavoir, comme la salle de réception, sont des lieux de rencontres et d’échanges que les reliefs encapsulent silencieusement. La transparence frémissante des sculptures d’Elen Hallégouët réinjecte une dimension ondulatoire aux sites et aux récits, un mouvement de propagation qui se transmet, par l’effet d’ombres portées, de la surface des œuvres à l’espace environnant. Aussi il n’est pas étonnant que pour l’exposition Radio Lavoir[1], l’artiste ait gravé, à même la terre, les paroles qui s’échangaient autour des bassins. Ou que dans So Solo[2], un disque de reprises résonne parmi les moulures en verre de l’appartement. Les pierres parlent, Elen et les grotesques de la Renaissance le savent bien. Dans les jardins de Bomarzo, sur une sculpture grotesque on peut lire : « Toi qui entres ici, ait l'esprit de me dire si tant de merveilles furent faites pour tromper ou purement pour l'art. »
Elsa Vettier