Née en 1957 à Buenos-Aires, Argentine.
Vit et travaille entre Paris et la Marne.
« Nous sommes vivantes et belles ». Inversant en quelque sorte le fameux « Women don’t get AIDS, they just die from it[1] » imaginé par Gran Fury en 1991, ce slogan a accompagné la commission Femmes d’Act Up-Paris, créée en 1998 afin d’annihiler les préjugés mortifères accablant les femmes séropositives et pour apporter des réponses adaptées à leur combat contre le VIH/sida. Reprendre le contrôle, redevenir visibles, redevenir audibles : tels étaient les enjeux des femmes cis et trans se battant pour leur agentivité et leurs droits. En 1991, après avoir découvert sa séropositivité, l’artiste Marjolaine Degremont rejoint la lutte d’Act-Up Paris et milite durant plusieurs années avant de prendre la présidence de l’association en 2008. Sans proposer un travail plastique frontalement politique, son œuvre est toutefois irriguée par cet entremêlement entre art, maladie et engagement, jusqu’à représenter un lieu privilégié où expérimenter une forme de refuge, de retrait, quelque chose de la vulnérabilité, mais aussi de la protection ou de la prophylaxie.
Le travail artistique de Marjolaine Degremont semble en effet nous soustraire pour un temps au bruit et à la brutalité du monde. Le blanc immaculé ou les nuances éthérées que ses œuvres revêtent (rappelant les Cellules de l’artiste Absalon, lui aussi touché par le sida sans jamais directement l’évoquer dans ses pièces) ont moins à voir avec une image de pureté, que l’artiste ne revendique pas, qu’avec un sentiment d’inachèvement, d’incomplétude, d’évanescence. Bien que presque exemptes de langage, ses œuvres sont chargées de poésie et l’artiste les inscrit volontairement dans une généalogie d’écrivaines plutôt que de plasticiennes, ayant elles aussi tenté de sculpter la mort : Virginia Woolf, Sylvia Plath ou encore la poétesse Alejandra Pizarnik, originaire – tout comme l’artiste – d’Argentine. À l’image des deux slogans cités plus haut, le dialogue entre vie et mort, survie et finitude, est partout, comme dans l’installation Frère, souviens-toi qu’il faut mourir, comprenant 365 tableaux portant la mention éponyme tamponnée sur un camaïeu de cieux bleus. Série initiée en 1991, l’artiste en a réalisé un par jour, memento mori ainsi scandé et déployé pour davantage résonner.
Dès ses prémices, la pratique de Marjolaine Degremont, au-delà de son apparente abstraction, est implicitement chargée d’un imaginaire appartenant à la mythologie ou à la tragédie, rejouant au sein d’un espace-temps pourtant indéfini les nœuds, mais aussi les dénouements du drame. Ce geste de « dé-dramatiser » passe notamment par un recours à l’humour et à la dérision, venant nimber la scène de légèreté et de grâce, et ainsi l’égayer. Plus récemment apparus dans le travail de la plasticienne, les champignons symbolisent tout autant la contamination, la pullulation et la décomposition que la résilience et la force créative. Le 1er décembre dernier, journée mondiale de lutte contre le sida, était consacré pour la première fois par Act Up-Paris à la question des femmes. Les solidarités expérimentées, qu’elles se situent dans l’action directe ou dans les métaphores empruntées à d’autres vocabulaires, continuent d’informer les alliances désirées.
Lou Ferrand