Née en 1992 à Paris.
Vit et travaille à Paris.
Diplômée de l'École cantonale d'art de Lausanne.
Journal intime ou bloc-notes, le travail de Loucia Carlier se présente comme l’expression plastique de ses ressentis. Ses sculptures forment un patchwork soumis à l’influence du monde qui nous entoure. La série des Tardis (2021) en est un bon exemple. Tel un moodboard, ces œuvres rectangulaires accrochées au mur combinent des images glanées sur le web, des photographies, des images d’archives, des dessins ou du texte. Croquis ou rébus, elles restituent les préoccupations visuelles et psychologiques de l’artiste à un instant t. Fragments du corps, motifs ufologiques[1], scènes d’amour kitsch et éléments psychédéliques sont tatoués par lithographie ou sérigraphie sur du similicuir. Parfois même rehaussées de maquillage, ces œuvres sont en quelque sorte la seconde peau de Loucia Carlier : réactive aux agressions extérieures et aux inflammations intérieures, que l’on s’acharne, tant bien que mal, à camoufler.
L’interdépendance du corps à son environnement n’est pas forcément des plus réjouissantes à l’ère du capitalisme, du patriarcat et de la crise écologique. Le travail de l’artiste exprime les angoisses sous-jacentes d’une génération née dans les années 1990. Ses nouvelles œuvres présentées au Salon de Montrouge font référence à la douleur sous forme de panneaux signalétiques intégrés à des maquettes. La douleur devient générique, tout en exprimant sa propre condition de femme artiste contemporaine. Un cri sourd.
Plus directement, c’est un sentiment de fatigue qui se donne à voir. L’ensemble de sculptures murales Sick Sad World (2022) – vortex, paysages post-apocalyptiques creusés dans les nuances de gris – renvoie à une forme d’apathie sociale. C’est cet état même que décrit le philosophe Byung-Chul Han dans son ouvrage La Société de la fatigue, où il démontre comment l’hyper-positivité ambiante mène à des pathologies comme le burnout ou le déficit d’attention[1]. Le vocabulaire visuel du sommeil scande tout le travail de Loucia Carlier : matelas, draps, maquettes de lits, corps allongés, étoiles. Le dimanche revient aussi dans les titres de plusieurs pièces, où figurent des architectures d’espaces domestiques ou des personnages endormis sur des bureaux, dans des locaux déserts. Symptomatique d’une éthique de la performance, l’esprit corporate se dessine comme la fiction d’un monde où l’on prétend que tout va bien. L’artiste opère un rapprochement entre monde du travail et science-fiction féministe, dystopie et utopie. L’intérêt pour ce champ littéraire émane de ses activités éditoriales pour le magazine Klima, au croisement de l’art contemporain et de la recherche, qu’elle a co-fondé en 2018.
Puissamment émancipatrice, la science-fiction invite à transformer la passivité en action ; à imaginer que les dormeurs de Loucia Carlier œuvrent pour une révolution endormie ; à imaginer ses bureaux vides comme des salles de réunions pour réinventer le monde ; à appréhender son camaïeu de gris comme une multitude de potentialités. Sa pratique est en réalité celle d’un volcan en sommeil. Elle contient de multiples émotions et énergies prêtes à jaillir. Son exposition personnelle We Are Volcanoes[1], reprenant une expression de l’écrivaine féministe Ursula K. Le Guin[2], présentait des sculptures à l’aspect crouteux, entre caillots de lave et formes viscérales. Elle annonçait déjà tout l’enjeu que soulève son travail : les femmes sont des volcans, qui, lorsqu’elles se réveillent, modifient tout le paysage existant de manière indélébile.
Claire Contamine